CETTE ANALYSE SOUS LA FORME D'UN DIALOGUE IMAGE ENTRE "ANTIGONE" ET SA PETITE-FILLE A ETE PUBLIEE SUR LIBERTYVOX ET COMPORTE 17 CHAPÎTRES QUI PARAÎTRONT ICI AU RYTHME DE UN PAR JOUR...
BONNE LECTURE
Première partie
I
Un jour tu es revenue du collège, l’air maussade et préoccupé.
Je t’ai demandé : - Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu t’es fait saquer par tes professeurs ?
Tu m’as répondu : - Ce n’est pas avec les professeurs que j’ai des
problèmes, mais avec les élèves.
- Ah bon ? Et lesquels ?
Tu m'as fait une réponse un peu biaisée : - Tu comprends, j’en ai
marre d’entendre certains dire que nous, les Français, on leur doit le respect.
J'ai réfléchi, réfléchi et t'ai demandé : - Mais qui dit ça ?
Tu me réponds sur le ton de l’évidence : - Qui ? Des Arabes.
- Ah, bon ? Et comment tu sais qu’ils sont « arabes » ?
Là tu m’as fixé, un court moment interloquée, comme si je me
moquais de toi.
- Parce que ... parce que je le sais ! Tout le monde le sait ! Et d’abord
c’est eux qui s’en vantent tout le temps.
- Bon. Admettons. Mais, suppose que tu n’aies jamais entendu
parler d’eux, est-ce que, de toi-même, toute seule, tu les aurais
reconnu comme un groupe différent des autres élèves, de Corinne,
de Boris, de José et de toi par exemple ?
Tu as pris ton temps avant de répondre : - Au début, je n’ai rien
remarqué, mais, petit à petit sans m’en rendre compte, avant même
que j’entende le mot «arabes», que j’y fasse attention, j’ai commencé
à les repérer comme différents de nous et des autres.
- Qui « nous » ?
- Je ne sais pas… Hélène, Boris, José, Michel, Alain, moi… et même
Tchang… et même Indira.
- Différents comment ?
- Euh… ben… D’abord, peu à peu, j’avais remarqué que d’une classe
à l’autre, d’une année à l’autre, d’une école à l’autre, on retrouvait
chez certains élèves les mêmes prénoms : Ali, Djamel, Moussa,
Kamel, Mourad, Selim, Mustapha, Aladin, Mohamed, Ahmed ou
Mehdi, ou d’autres qui sonnaient un peu comme ceux là, que leurs
noms de famille commençaient assez souvent par Ben ou Abdel,
que ceux qui les avaient étaient, en général, plus bronzés, plus
bruns de cheveux que ceux, comme nous, qui portaient d’autres
noms et prénoms bien plus variés que les leurs, et qu’ils se
regroupaient entre eux. Et puis j’ai découvert que ceux qui se
nommaient ainsi ne mangeaient pas de porc, alors que les autres et
moi nous en mangions, qu’ils faisaient le ramadan alors que les
autres et moi ne le faisions pas, qu'ils détestaient ouvertement les
juifs, etc. etc.
Tu as abrégé avec un geste vague.
- Et puis…
Tu t’es soudain arrêtée comme embarrassée : - Et puis quoi ?
Tu as hésité et fini par lâcher tout à trac : - Et puis, à partir d’un
certain âge, ce sont eux les plus frimeurs et ceux qui nous embêtent
ou, en tous cas, qui nous embêtent le plus méchamment et nous
débitent des insultes et des cochonneries.
Je remarquais que tu étais passée au présent et je sentais que, pour
parler familièrement, tu en avais gros sur la patate. Je t’ai
encouragée : - Allez, vas-y ! vide ton sac, c’est le moment. C’est bien
tout ?
- Oui… enfin, non : j’ai aussi remarqué que dès qu'un autre qu’eux
leur déplaît, ils se vengent en se mettant à le frapper à dix contre
un et qu’en général ils prennent plaisir à persécuter les plus faibles.
Ah, et puis quand il y en un pris la main dans le sac, même jusqu’à
l’épaule, il se rebiffe toujours en disant : c’est pas moi m’sieur !
- Ils font tous pareil ?
Tu as hésité : - Non, pas tous. J’en connais qui sont sympas.
- Ah, tu vois bien. Tu ne peux pas ne pas en tenir compte.
- J’essaie d'en tenir compte, figure-toi.
- Et les José, les Paul, les Alain, les Boris, ils n’en font pas autant ?
Ils ne les embêtent pas, les Arabes ?
Tu protestes avec véhémence : - Non, jamais ! On n’est pas des
skinheads. Et puis même, on n’est pas assez nombreux.
- Bon, bon, ça va ! Je te crois. Ta mère et moi qui avons été
professeurs dans des établissements différents à une époque où les
«Arabes» comme tu dis, étaient encore minoritaires dans les classes,
nous n’avons jamais vu des non arabes, nombreux ou pas, les
embêter. Les professeurs de notre entourage non plus. Et pourtant
nous étions tous très vigilants. D’ailleurs, déjà, de mon temps,
presque tous les délégués de classe étaient des « Arabes ». Je suis
sûre que si tu pouvais vérifier dans les archives de ton école, tu
pourrais faire la même constatation. Preuve que, à l’époque,
contrairement à ce que l’on voudrait faire croire, les petits français
comme toi, loin d’être racistes, les avaient à la bonne.
Ne parlons pas des professeurs qui se sont toujours défoncés pour
eux bien plus que pour n’importe quels autres élèves, ainsi que tous
les acteurs sociaux, histoire de bien montrer à quel point ils
exécraient les préjugés raciaux. Difficile, dans ces conditions, de
soutenir que les "Arabes" baignaient dans le racisme. D’ailleurs ils y
baignaient si peu, il y en avait si peu à se mettre sous la dent, que
les antiracistes de profession ont longtemps été obligés pour
justifier leur croisade, et leur salaire, de diaboliser une banale
mesure de prévention policière : "le contrôle d’identité" en le
rebaptisant, quand elle concernait les jeunes arabes : «contrôle au
faciès» et en le montant démesurément en épingle.
- Tu oublies, quand même les skinheads!
- Parlons en des skinheads ! A entendre les journalistes, on avait
l’impression qu’ils étaient des dizaines de milliers à terroriser les
Arabes à travers toute la France. En réalité ils n’étaient pas deux
milles et leurs méfaits, plutôt rares, ont été grossis à plaisir.
- De toutes façons, maintenant même si on avait envie de les embêter, on n’oserait pas : ils nous font trop peur.
- Peur ? Mais pourquoi tu ne nous as jamais parlé de tout ça ?
- Parce qu’il aurait fallu parler d’eux et que personne n’en parle
jamais -vous pas plus que les autres– comme s’il s’agissait d’un
sujet défendu.
C’était vrai, nous nous étions fixés la règle de ne jamais parler de
qui que ce fût devant toi en faisant référence à sa race.
Tu as poursuivi : - On dirait, d’ailleurs, qu’ils font peur à tout le
monde, y compris aux professeurs, y compris à eux-mêmes. J’en ai
vu se cacher pour manger pendant le ramadan, de frousse d’être
maltraités par les autres. En tous cas, question de savoir qui ils
sont, le problème ne se pose pas ou plus puisque, comme je t’ai dit,
je les entends se vanter d’être arabes ou musulmans (c’est pareil)
et dire que nous, les Français, nous leur devons le respect.
J’ai choisi de ne pas relever sur le moment cette dernière
proposition. - Non, ce n’est pas pareil : il y a des Arabes qui ne sont
pas musulmans, mais chrétiens.
- Ah, bon. Je croyais que c’était pareil.
- Non. Musulman veut dire que tu adhères à la religion qui est
l’islam. Arabe, veut dire que tu appartiens à la race du même nom.
En fait c’est un peu pareil quand même parce que quatre vingt
quinze pour cent des Arabes sont, effectivement, musulmans. Alors
on peut confondre.
Tu as levé les yeux au ciel : - Là, je ne comprends plus. Tu dis que
« Arabe » c’est une race, mais le professeur d’histoire-géo et celui de
biologie nous ont dit que les races n’existent pas.
A ce moment, j’ai senti que je ne pouvais plus te répondre du tac au
tac.
La discussion prenait une tournure trop sérieuse et trop
délicate. Je t’ai dit que je m’en tiendrais là pour aujourd’hui, qu’il
me fallait un peu de temps pour réfléchir et que nous reprendrions
tout ça demain.
A DEMAIN...
VOUS N'ËTES PAS AU BOUT DE VOS TRISTES CONSTATS...