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LA TURQUIE...UNE PILULE ?... NON, UN SUPPOSITOIRE !!





par Michael Rubin
The American, 20 juin 2008




Cet été, la Cour constitutionnelle turque
décidera si le Parti de la justice et du développement (AKP) du Premier ministre Recep Tayyip Erdoğan a violé les «principes d’une république démocratique et laïque» qui servent de fondements à la constitution turque et s’il devrait être banni de la scène politique. La majorité des officiels turcs, dans l’ensemble de l’éventail politique, s’attendent à ce que la Cour se prononce en défaveur de l’AKP et donc qu’elle dissolve le parti et exclue Erdoğan et ses plus proches assistants pour au moins cinq ans.

Bien que le Premier ministre et le ministre des Affaires étrangères Ali Babacan ainsi que des conseillers influents de l’AKP aient tenté de présenter cette démarche comme une exagération injustifiée d’un litige portant sur le port du voile dans les hautes écoles publiques, voire comme un «coup judiciaire», l’affaire est tout à fait justifiée.

Les partisans d’Erdoğan présentent souvent son soutien au processus d’adhésion à l’Union européenne comme une preuve de son libéralisme politique. Mais en fait, Erdoğan s’est servi du processus de rapprochement de l’UE pour démonter le système turc de contrôle mutuel. Il ne se préoccupe guère des institutions de l’UE: lorsque la Cour européenne des droits de l’homme confirma l’interdiction du voile dans les écoles publiques – interdiction également confirmée plus tard par la Cour constitutionnelle turque – Erdoğan fustigea les juges européens pour avoir appliqué une loi civile à une question religieuse et déclara: «Il est incorrect que des gens qui n’ont aucun lien avec ce domaine [de la religion] prennent une telle décision (…) sans consulter des experts religieux.»

L’encouragement des réformes turques par l’Europe a joué un rôle important. Dans une démocratie arrivée à maturité, l’armée doit rester à l’écart de la politique. Et Bruxelles mérite des applaudissements pour avoir fait pression sur la Turquie afin qu’elle réforme son Conseil de la sécurité nationale et donne à cet organe puissant une majorité de civils et une direction civile. Mais en omettant d’encourager la création d’un nouveau mécanisme de contrôle mutuel pour remplacer le rôle traditionnel de l’armée comme gardien de la constitution, l’UE a commis une faute diplomatique. Erdoğan a saisi cette occasion pour négliger la laïcité et la démocratie turques.

En effet, en dépit de ses airs laïques, libéraux et démocratiques, l’AKP est tout le contraire. Babacan a ordonné aux officiels turcs de supprimer les références à la laïcité d’une présentation de la position turque dans le cadre de négociations avec l’UE sur la politique de l’éducation. Dans sa politique intérieure, l’AKP a placé la religion avant la loi. Longtemps, la Turquie a réglementé les écoles coraniques complémentaires, y a vérifié les qualifications des enseignants et imposé des limites d’âge, afin de prévenir l’endoctrinement. Lorsque les mollahs saoudiens faisaient leur tournée de promotion de l’Islam radical en Europe, au Moyen-Orient et en Asie central, ils évitaient généralement la Turquie. Ce n’est plus le cas. Non seulement l’AKP a assoupli les contraintes imposées aux écoles religieuses, mais elle a ruiné les possibilités de sanctions en cas de violations, ce qui a conduit des madrasas illégales à faire de la publicité ouvertement.

D’autre part, en matière de consolidation de son pouvoir, Erdoğan est devenu le Vladimir Poutine turc. À peine entré en fonction, Erdoğan s’est attaché à baisser l’âge de la retraite des fonctionnaires, de 65 à 61 ans, ce qui a permis à son parti de désigner près de la moitié des procureurs et des juges de la nation. Grâce à des jeux d’influence, le Premier ministre a transformé des organes technocratiques tels que le Fonds de garantie de dépôts (TMSF), un organisme disposant du pouvoir de saisir des entreprises privées et des médias, en de véritables ailes du parti. Le personnel du TMSF est maintenant presque entièrement composé de candidats désignés par des institutions financières basées en Arabie Saoudite.

Auparavant, les postes clés des ministères et des départements gouvernementaux dépendaient d’examens de compétences liés à la fonction publique. Entre-temps, Erdoğan a imposé un processus subjectif d’interviews qui lui permet de favoriser des alliés politiques. La pratique s’étend aux entreprises détenues par l’État; Turkish Airlines, par exemple, a commencé à faire subir des tests de connaissance du Coran à son personnel. Les femmes en ont le plus souffert. Comme le relève l’analyste Soner Çağaptay dans Newsweek, «sous l’AKP, les femmes sont largement exclues des positions décisives du gouvernement et du monde du travail, et sont confinées dans leur foyer».

L’AKP a même recouru à des enregistrements des conversations de ses rivaux politiques. À la fin du mois passé, Vakit, un journal islamiste proche de l’AKP, a publié une telle conversation entre l’adjoint du leader de l’opposition et un gouverneur. Cette anecdote, que les médias turcs ont qualifiée de «Watergate turc», a jeté un grand froid dans l’élite laïque turque.

L’AKP a aussi cherché à réduire la puissance de l’appareil judiciaire turc. En mai 2005, le co-fondateur de l’AKP et président du Parlement Bülent Arınç déclara que si la Cour constitutionnelle turque continuait de qualifier d’inconstitutionnelle la législation de l’AKP, celui-ci pourrait fort bien la dissoudre. Lorsque le Danıştay, l’équivalent turc du Conseil d’État français, a émis un jugement opposé à la saisie d’une banque par le gouvernement et au transfert, par Erdoğan, de sa filiale européenne à un allié politique, le Premier ministre ignora l’arrêt.

Contrairement aux affirmations de l’AKP, la décision que la Cour constitutionnelle turque prendra vraisemblablement cet été ne marquera pas la fin de la démocratie turque, mais plutôt sa renaissance. Et Erdoğan aussi entamera un nouveau chapitre. Même s’il était exclu de la scène politique, une bizarrerie du système électoral turc lui permettrait de se présenter en qualité d’indépendant. En d’autres termes, Erdoğan pourrait se retrouver à la tête d’une équipe d’autres anciens de l’AKP dans la fonction de Premier ministre indépendant.

Ici, il s’agit moins d’ambition que d’immunité. Si Erdoğan quitte le parlement, il devra faire face à une multitude d’accusations de corruption. En accumulant son immense fortune, il a refusé de publier des chiffres financiers complets. Aujourd’hui, avec le compte à rebours qui affecte sa fonction de Premier ministre, Erdoğan a renoncé même à l’apparence de la légalité. Il s’est servi de la majorité parlementaire de l’AKP pour bloquer l’enquête sur une récente opération du TSMF par laquelle un journal et une chaîne TV de l’opposition ont été vendus à un allié d’Erdoğan grâce à une intervention illégale de sa part [NdT: voir aussi Nouveau en Turquie: la politique médiatique islamiste modérée]. Le 18 juin, Fatih Altaylı relatait dans Habertürk que l’entreprise énergétique autrichienne OMV a produit une déclaration sous serment affirmant qu’Erdoğan avait indiqué à OMV qu’elle pouvait débloquer un projet énergétique de trois milliards de dollars en remplaçant son partenaire turc de longue date par son beau-fils.

On ne s’étonnera donc pas outre mesure d’apprendre qu’Erdoğan a passé ce qui pourrait être ses dernières semaines de Premier ministre à nommer des alliés politiques au Sayıştay, la Cour des comptes turque, qui enquêtera bientôt sur son comportement.

par ajm



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